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我讀的哲學家的文章不多,這是當年讀過的Badiou的尋常的屈辱。

(2007-05-14 10:51:10) 下一個
L’humiliation ordinaire, par Alain Badiou
LE MONDE

onstamment contrôlés par la police." De tous les griefs mentionnés par les jeunes révoltés du peuple de ce pays, cette omniprésence du contrôle et de l’arrestation dans leur vie ordinaire, ce harcèlement sans trêve, est le plus constant, le plus partagé. Se rend-on vraiment compte de ce que signifie ce grief ? De la dose d’humiliation et de violence qu’il représente ?

J’ai un fils adoptif de 16 ans qui est noir. Appelons-le Gérard. Il ne relève pas des "explications" sociologiques et misérabilistes ordinaires. Son histoire se passe à Paris, tout bonnement.

Entre le 31 mars 2004 (Gérard n’avait pas 15 ans) et aujourd’hui, je n’ai pu dénombrer les contrôles dans la rue. Innombrables, il n’y a pas d’autre mot. Les arrestations : Six ! En dix-huit mois... J’appelle "arrestation" qu’on l’emmène menotté au commissariat, qu’on l’insulte, qu’on l’attache à un banc, qu’il reste là des heures, parfois une ou deux journées de garde à vue. Pour rien.

Le pire d’une persécution tient souvent aux détails. Je raconte donc, un peu minutieusement, la toute dernière arrestation. Gérard, accompagné de son ami Kemal (né en France, Français donc, de famille turque), est vers 16 h 30 devant un lycée privé (fréquenté par des jeunes filles). Pendant que Gérard fait assaut de galanterie, Kemal négocie avec un élève d’un autre lycée voisin l’achat d’un vélo. Vingt euros, le vélo, une affaire ! Suspecte, c’est certain. Notons cependant que Kemal a quelques euros, pas beaucoup, parce qu’il travaille : il est aide et marmiton dans une crêperie. Trois "petits jeunes" viennent à leur rencontre. Un d’entre eux, l’air désemparé : "Ce vélo est à moi, un grand l’a emprunté, il y a une heure et demie, et il ne me l’a pas rendu." Aïe ! Le vendeur était, semble-t-il, un "emprunteur". Discussion. Gérard ne voit qu’une solution : rendre le vélo. Bien mal acquis ne profite guère. Kemal s’y résout. Les "petits jeunes" partent avec l’engin.

C’est alors que se range le long du trottoir, tous freins crissants, une voiture de police. Deux de ses occupants bondissent sur Gérard et Kemal, les plaquent à terre, les menottent mains dans le dos, puis les alignent contre le mur. Insultes et menaces : "Enculés ! Connards !" Nos deux héros demandent ce qu’ils ont fait. "Vous savez très bien ! Du reste, tournez-vous – on les met, toujours menottés, face aux passants dans la rue –, que tout le monde voie bien qui vous êtes et ce que vous faites !" Réinvention du pilori médiéval (une demi-heure d’exposition), mais, nouveauté, avant tout jugement, et même toute accusation. Survient le fourgon. "Vous allez voir ce que vous prendrez dans la gueule, quand vous serez tout seuls." "Vous aimez les chiens ?" "Au commissariat, y aura personne pour vous aider."

Les petits jeunes disent : "Ils n’ont rien fait, ils nous ont rendu le vélo." Peu importe, on embarque tout le monde, Gérard, Kemal, les trois "petits jeunes", et le vélo. Serait-ce ce maudit vélo, le coupable ? Disons tout de suite que non, il n’en sera plus jamais question. Du reste, au commissariat, on sépare Gérard et Kemal des trois petits jeunes et du vélo, trois braves petits "blancs" qui sortiront libres dans la foulée. Le Noir et le Turc, c’est une autre affaire. C’est, nous raconteront-ils, le moment le plus "mauvais". Menottés au banc, petits coups dans les tibias chaque fois qu’un policier passe devant eux, insultes, spécialement pour Gérard : "gros porc", "crado"... On les monte et on les descend, ça dure une heure et demie sans qu’ils sachent de quoi ils sont accusés et pourquoi ils sont ainsi devenus du gibier. Finalement, on leur signifie qu’ils sont mis en garde à vue pour une agression en réunion commise il y a quinze jours. Ils sont vraiment dégoûtés, ne sachant de quoi il retourne. Signature de garde à vue, fouille, cellule. Il est 22 heures. A la maison, j’attends mon fils. Téléphone deux heures et demie plus tard : "Votre fils est en garde à vue pour probabilité de violences en réunion." J’adore cette "probabilité". Au passage, un policier moins complice a dit à Gérard : "Mais toi, il me semble que tu n’es dans aucune des affaires, qu’est-ce que tu fais encore là ?" Mystère, en effet.

S’agissant du Noir, mon fils, disons tout de suite qu’il n’a été reconnu par personne. C’est fini pour lui, dit une policière, un peu ennuyée. Tu as nos excuses. D’où venait toute cette histoire ? D’une dénonciation, encore et toujours. Un surveillant du lycée aux demoiselles l’aurait identifié comme celui qui aurait participé aux fameuses violences d’il y a deux semaines. Ce n’était aucunement lui ? Un Noir et un autre Noir, vous savez...

A propos des lycées, des surveillants et des délations : j’indique au passage que lors de la troisième des arrestations de Gérard, tout aussi vaine et brutale que les cinq autres, on a demandé à son lycée la photo et le dossier scolaire de tous les élèves noirs. Vous avez bien lu : les élèves noirs. Et comme le dossier en question était sur le bureau de l’inspecteur, je dois croire que le lycée, devenu succursale de la police, a opéré cette "sélection" intéressante.

On nous téléphone bien après 22 heures de venir récupérer notre fils, il n’a rien fait du tout, on s’excuse. Des excuses ? Qui peut s’en contenter ? Et j’imagine que ceux des "banlieues" n’y ont pas même droit, à de telles excuses. La marque d’infamie qu’on veut ainsi inscrire dans la vie quotidienne de ces gamins, qui peut croire qu’elle reste sans effets, sans effets dévastateurs ? Et s’ils entendent démontrer qu’après tout, puisqu’on les contrôle pour rien, il se pourrait qu’ils fassent savoir, un jour, et "en réunion", qu’on peut les contrôler pour quelque chose, qui leur en voudra ?

On a les émeutes qu’on mérite. Un Etat pour lequel ce qu’il appelle l’ordre public n’est que l’appariement de la protection de la richesse privée et des chiens lâchés sur les enfances ouvrières ou les provenances étrangères est purement et simplement méprisable.
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